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Dermian, The Story of Emil Sinclair's Youth by Hermann Hesse (1919)
Excerpt - Beginning of the novel
Translated from the German by Michael Lebeck and Michael Roloff


Demian cover

In Demian, one of the great writers of the twentieth century tells the dramatic story of young, docile Emil Sinclair's descent--led by precocious shoolmate Max Demian--into a secret and dangerous world of petty crime and revolt against convention and eventual awakening to selfhood.

"The electrifying influence exercised on a whole generation just after the First World War by Demian...is unforgettable. With uncanny accuracy this poetic work struck the nerve of the times and called forth grateful rapture from a whole youthful generation who believed that an interpreter of their innermost life had risen from their own midst."
-- From the Introduction by Thomas Mann

"Each man's life represents a road toward himself" Herman Hesse

 

Herman HesseI cannot tell my story without reaching a long way back. If it were possible I would reach back farther still-into the very first years of my childhood, and beyond them into distant ancestral past.Novelists when they write novels tend to take an almost godlike attitude toward their subject, pretending to a total comprehension of the story, a man's life, which they can therefore recount as GodHimself might, nothing standing between them and the naked truth, the entire story meaningful in every detail. I am as little able to do this as the novelist is, even though my story is more important to me than any novelist's is to him--for this is my story; it is the story of a man, not of an invented, or possible, or idealized, or otherwise absent figure, but of a unique being of flesh and blood. Yet, what a real living human being is made of seems to be less understood today than at any time before, and men--each one of whom represents a unique and valuable experiment on the part of nature--are therefore shot wholesale nowadays. If ire were not something more than unique human beings, if each one of us could really be done away with once and for all by a single bullet, storytelling would lose all purpose. But every man is more than just himself he also represents the unique, the very special and always significant and remarkable point at which the world's phenomena intersect, only once in this way and never again. That is why every man's story is important, eternal, sacred; that is why every man, as long as he lives and fulfills the will of nature, is wondrous, and worthy of every consideration. In each individual the spirit has become flesh, in each man the creation suffers, within each one a redeemer is nailed to the cross.

Few people nowadays know what man is. Many sense this ignorance and die the more easily because of it, the same way that I will die more easily once I have completed this story.

I do not consider myself less ignorant than most people. I have been and still am a seeker, but I have ceased to question stars and books; I have begun to listen to the teachings my blood whispers to me. My story is not a pleasant one; it is neither sweet nor harmonious, as invented stories are; it has the taste of nonsense and chaos, of madness and dreams--like the lives of all men who stop deceiving themselves.

Each man's life represents a road toward himself, an attempt at such a road, the intimation of a path. No man has ever been entirely and completely himself. Yet each one strives to become that-one in an awkward, the other in a more intelligent way, each as best he can. Each man carries the vestiges of his birth--the slime and eggshells of his primeval past--with him to the end of his days. Some never become human, remaining frog, lizard, ant. Some are human above the waist, fish below. Each represents a gamble on the part of nature in creation of the human. We all share the same origin, our mothers; all of us come in at the same door. But each of us--experiments of the depths--strives toward his own destiny. We can understand one another; but each of us is able to interpret himself to himself alone.

© HarperCollins Publishers

"La vie de chaque homme est un chemin vers soi-même" Herman Hesse

Herman Hesse | Dermian Histoire de la jeunesse d'Emile Sinclair
Traduit de l'allemand par Denise Riboni


Pour raconter mon histoire, il me faut retourner très loin dans le passé. Il me faudrait, si cela était possible, reculer jusqu'aux toutes premières années de mon enfance, et au-delà encore, jusqu'à mes origines les plus lointaines.

Les écrivains, lorsqu'ils composent des romans, font souvent comme s'ils étaient Dieu et comme s'ils pouvaient embrasser et comprendre dans son ensemble une vie humaine quelconque, et la raconter comme Dieu pourrait se la raconter, sans voile, en accordant à chacun de ses épisodes la même valeur. Cela, je ne le puis, pas plus qu'ils ne le peuvent. Mais mon histoire est pour moi plus importante que pour n'importe quel écrivain la sienne, car elle m'appartient en propre, et elle est l'histoire d'un homme, non pas inventé, idéal, n'existant pas en dehors du livre, mais d'un homme qui, une fois, a vécu réellement. Ce n'est qu'un homme qui vit réellement, on le sait aujourd'hui moins que jamais, et l'on tue ses semblables - dont chacun est un essai unique et précieux - en masse. Si nous n'étions pas autre chose que des êtres ne vivant qu'une fois, une balle de fusil suffirait en effet à supprimer chacun de nous, et alors raconter des histoires n'aurait plus aucun sens. Mais chaque homme n'est pas lui-même seulement. Il est aussi le point unique, particulier, toujours important, en lequel la vie de l'univers se condense d'une façon spéciale, qui ne se répète jamais. C'est pourquoi l'histoire de tout homme est importante, éternelle, divine. C'est pourquoi chaque homme, par le fait seul qu'il vit et accomplit la volonté de la nature est remarquable et digne d'attention. En chacun de nous, l'esprit est devenu chair; en chacun de nous souffre la créature; en chacun de nous un rédempteur est crucifié.

Beaucoup, aujourd'hui, ignorent ce qu'est l'homme, mais beaucoup le pressentent et, par là, il leur est plus facile de mourir, comme il me sera plus facile de mourir quand j'aurai terminé cette histoire.

Je ne puis me nommer "un initié". J'ai été un chercheur, et je le suis encore, mais je ne cherche plus dans les astres et dans les livres. Je commence à entendre ce qui bruit dans mon propre sang. Mon histoire n'est pas agréable à lire. Elle n'est pas douce et harmonieuse comme les histoires inventées. Elle a un goût de non-sens, de folie, de confusion et de rêve, comme la vie de tout homme qui ne veut plus se mentir.

La vie de chaque homme est un chemin vers soi-même, l'essai d'un chemin, l'esquisse d'un sentier. Personne n'est jamais parvenu à être entièrement lui-même; chacun, cependant, tend à le devenir, l'un dans l'obscurité, l'autre dans plus de lumière, chacun comme il le peut. Chacun porte en soi, jusqu'à sa fin, les restes de sa naissance, les dépouilles, les membranes d'un monde primitif. Beaucoup ne deviennent jamais des hommes, mais demeurent grenouilles, lézards ou fourmis. Tel n'est humain que dans sa partie supérieure, et poisson en bas. Mais chacun de nous est un essai de la nature, dont le but est l'homme. A nous tous, les origines, les mères sont communes. Tous, nous sortons du même sein, mais chacun de nous tend à émerger des ténèbres et aspire au but qui lui est propre. Nous pouvons nous comprendre les uns les autres, mais personne n'est expliqué que par soi-même.


© Suhrkamp Verlag, 1925.
© Editions Stock, 1946, 1974.